Regarder à gauche puis à droite dans l'espoir déçu d'y rencontrer une vie. Retenir ses larmes et ses appels au secours, ne pas les faire tomber dans l'oreille des sourds. Contenir en soi une bombe à retardement qui a déjà dépassé la limite de temps, la contenir jusqu'à en étouffer, juste pour ne pas blesser. Tant pis si je m'écorche de l'intérieur. Garder en soi un sang qui ne demande qu'à couler. Détourner les yeux des mots qui blessent, en sachant très bien que le coeur lui, y est resté accroché. Prendre des décisions, trop tard. Souffrir à cause d'un manque de discernement. Souffrir en regardant devant, n'osant pas se retourner de peur de ne plus pouvoir marcher. Avoir la volonté de continuer sans la force pour y arriver. Pleurer pour un rien tant que ce n'est pas pour ça. Prendre les caresses pour des coups et les coups pour des homicides. Saigner un peu pour avoir assez de place pour souffrir encore. Un peu, beaucoup. Trop ? Ne plus se poser des questions aussi douloureuses que les réponses. Lutter contre soi-même pour tenir bon, tandis que les autres luttent contre moi-même pour me faire lâcher. Tenter de faire tomber le paradoxe, avant de réaliser que l'avenir tient sur un fil. Un fil tendu sur des couteaux tranchants, éclaboussés du sang des précédents. Perdre son équilibre, se rattraper sur la lame, mériter de saigner, vouloir remonter à contre-sens. Porter des poids dérisoires, mais trop nombreux pour être oubliés. Avancer dans un univers de coton, désinfecté. Avoir les yeux en feu, infectés. Paradoxe? Fermer les yeux, alors. Ne plus pouvoir avancer, bien sûr. Devoir choisir, puisqu'entre le vide et la souffrance il n'y a qu'un pas, qu'une hésitation, qu'un geste manquant ou en trop. Ouvrir les yeux à demi et sentir le souffle brûlant, irritant qui pousse en arrière. Refermer les yeux et être rappelé à l'ordre par le souffle glacial, paralysant venant du goufre.
Décider, alors.
Tomber alors? Se laisser lentement glisser, fermer les yeux puisqu'il sera de toute façon trop tard? Ignorer les mains tendues et faire le saut de l'ange, dans le gouffre glacial, sans fond, entre deux murs de glace menaçants, attendre la fin de la chute sans la voir venir, attendre le choc, le choc sourd et fatal, définitif, salvateur?
Jamais. Mais ?
Continuer alors? Kamikaze, suicidaire, mais remplie de l'espoir de voir un jour derrière les barrières de flammes une oasis de repos, de repos infiniment mérité après des lancinants moments d'une lutte défaitiste, mais présente. Garder en soi l'étincelle tandis que les flammes me lèchent le visage. Rester digne, même à genoux, même agonisante, puisque j'aurai choisi de lutter. Tendre un bras contracté, les veines saillantes, les muscles bandés, pour un bras de fer sans fin contre un géant issu de vos haines, de vos regards, de votre cynisme blessant et de vos attentes malveillantes. Hurler de douleur et tenir encore, sentir la fin proche mais lutter, lutter de toutes ses forces restantes puisqu'on n'a rien, rien à perdre mais tant à gagner. Sentir la force m'abandonner de seconde en seconde, puiser dans vos regards vainqueurs la force supplémentaire, la raison ultime, de combattre, encore, enfin. Laisser couler les larmes en espérant qu'elles soient un baume, et couler le sang en espérant que le venin de l'erreur coule avec, de sa couleur noire pourtant aveuglante. Lutter sans force mais lutter pour après, profondément résolue bien que profondément blessée. Crier, hurler pour se faire entendre de l'agresseur, des opposants. Leur crier avec douceur que je les pardonne même si j'en souffre, et que si mon sang coule et qu'is s'en foutent, j'aurai fini par remplir mon rôle. Oui, m'entendez-vous, je pardonne, je pardonne mais je ne veux plus rien, plus rien entendre, plus rien voir, mes yeux m'ont trop fait mal, s'il vous plaît. Ce sont mes larmes qui seront le gage de ma franchise, je pleure et j'attends que vous abandonniez la lutte de front. S'il vous plaît, je veux vivre, encore, longtemps, voir le ciel bleu, à nouveau, enfin, s'il vous plaît. Les cieux enflammés ont calciné mes pensées, mais je vous pardonne tant que je peux, mais s'il vous plaît, arrêtez de me blesser autant, souvent, arrêtez d'ajouter des fardeaux à ma charge et je tenterai de vous aider de mon mieux à porter la vôtre. Lâchez mon bras, mon bras engourdi par une force sortie de moi, mais qui n'était pas la mienne. Regardez-moi, si faible. Vous n'êtes pas honteux, tant pis, je ne vous en veux pas. Mais je vous en supplie, du fond du coeur, arrêtez.
Arrêtez.